20 avril 2024

Conseil municipal du 10 février 2021 – intervention de Mathilde NASSAR – débat d’orientation budgétaire

Monsieur le maire,

Je vais intervenir sur ce rapport d’orientation budgétaire en trois temps :

  • je commencerai par analyser le diagnostic sur lequel vous fondez vos propositions
  • ensuite je soulignerai la fragilité des recettes sur lesquelles vous basez le financement du projet
  • et je conclurai enfin avec des propositions alternatives au plan pluriannuel d’investissements que vous proposez, avec comme objectif de sécuriser le financement de nos dépenses, en nous inscrivant plus nettement dans le plan de relance de 100 milliards d’euros présenté par le gouvernement, mais aussi d’être au plus près des besoins réels des Belfortaines et Belfortains.

D’abord donc pour commencer : il s’agit de faire le bon diagnostic. Les premières pages pointent bien la gravité de la crise qui frappe le monde, l’Europe et la France avec une description détaillée de la situation et ses implications diverses. Mais, et c’est particulièrement frappant : dès qu’on passe à Belfort, nous voilà dans un autre monde, toutes les tempêtes s’apaisent et la situation qu’on nous présente est très positive : bonne gestion, haut niveau de service public, dette saine et maîtrisée…ce qui débouche sur de nombreux projets d’investissement.

Or voilà le diagnostic que nous faisons : Belfort perd des habitants, perd des logements et perd des emplois. Près de 2000 habitants en moins. Plus de 1000 logements en moins. Plus de 1000 emplois en moins de 2012 à 2017 sans tenir compte des 2000 emplois de l’hôpital qui sont partis à Trévenans en 2017. Depuis 2017 la situation s’est énormément dégradée et ça ne va pas s’arranger, il n’est que de regarder les chiffres de l’Insee sur l’ensemble de notre territoire : – 4 000 emplois en 3 ans et, selon la Banque de France, une prévision de perte de 2000 emplois supplémentaires à venir.  

Ce diagnostic pourrait se résumer, pour la population, en quelques mots : souffrances, difficultés, angoisses. Cela nécessite la remise en cause en profondeur des attitudes et projets du passé, pour préparer Belfort à faire face à la situation inédite et dramatique qui vient. Pourquoi ne pas y réfléchir ensemble ?

Et nous pouvons d’abord réfléchir, comme je vous l’avais annoncé au départ, à la fragilité de nos ressources. Je veux parler de la fragilité d’une ressource essentielle de la ville : la dotation de compensation de l’ancienne taxe professionnelle que celle-ci reçoit du Grand Belfort. Et je cite votre rapport à propos du mécanisme des attributions de compensation : « Pour l’année 2021, le montant perçu par la Ville de Belfort est de 16 565 907€. Il ne devrait pas connaître d’évolution les années suivantes, sauf dans le cas d’éventuel transfert de compétences à Grand Belfort Communauté d’Agglomération ou de décision à intervenir dans le cadre du travail en cours à l’échelle intercommunal relatif au pacte financier et fiscal ». 

 Je note l’emploi du conditionnel, mais quand même : ne pas connaître d’évolution les années suivantes, c’est très vite dit ! Est-ce qu’il n’est pas temps d’étudier sérieusement les conséquences des pertes considérables d’emplois sur la CVAE ? Parce que la question est simple : comment l’agglomération pourra-t-elle continuer à verser cette compensation si ses ressources tirées de l’activité s’effondrent, d’autant que les impôts de production seront réduits ? Quels sont les mécanismes de solidarité nationale qui existent et quelles sont leurs limites ? 

Mais ce n’est pas la seule recette fragilisée : quel sera l’impact de ces pertes d’emplois sur la démographie et les ressources tirées de la taxe foncière ? L’étude du PLU nous a conduit à constater la démolition de près de 1000 logements sur Belfort. Quelle était la ressource fiscale générée par ces mille logements ? Après ces démolitions, il y avait encore 3080 logements vacants. Combien sont-ils après les milliers d’emplois perdus sur les trois dernières années ? Combien seront-ils demain après les 2000 emplois que nous allons perdre dans les prochains mois ? Quel effet sur les démolitions et donc, quel effet sur la taxe foncière perçue dont vous montrez bien qu’elle sera désormais la seule fiscalité directe versée par les ménages ?

Enfin, quel sera l’impact de l’évolution négative de la démographie sur la dotation générale de fonctionnement ? Page 29 vous indiquez : « La dotation forfaitaire poursuit sa diminution. Elle est fortement impactée par une baisse tendancielle de la population comme dans toutes les villes-centre : – 322 K€ depuis 2015. » Alors quelle prévision de baisse pouvons-nous faire pour les prochaines années pour cette recette ?

Voilà pourquoi nous sommes sceptiques sur le programme d’investissement proposé. Et tout d’abord, je suis étonnée de ne pas trouver un réel programme pluriannuel d’investissement. Nous devrions avoir ici des objectifs clairs et chiffrés, des coûts précis, un phasage dans le temps, une estimation des coûts de fonctionnement annexes.

Je ne reviendrai pas en détail sur l’inventaire à la Prévert qui en tient lieu, qui reprend des projets dans les tuyaux depuis de nombreuses années, propose de refaire des aménagements réalisés assez récemment, de rénover aveuglément des équipements sportifs, ce qui certes est nécessaire pour une question de mise aux normes et d’adaptation environnementale, mais souvent ne s’appuie pas sur les usages de ceux qui les fréquentent. Derrière tout ça il y a une question essentielle : ne devrait-on pas augmenter l’enveloppe consacrée à la maintenance ? Est-ce que nombre de ces investissements ne seraient pas inutiles si on avait entretenu correctement les équipements – je pense notamment au Phare, en état de vieillissement accéléré, en raison certes de défauts de conception mais aussi d’un manque criant d’entretien ?

Je veux surtout m’attarder, enfin, sur nos propositions. Nous le répétons depuis le début du mandat, le groupe En Commun à Belfort est au service de Belfort et de sa population et veut contribuer au développement de la ville. Si nous vous proposons des alternatives à vos projets, en partant effectivement des propositions que nous avons faites durant la campagne électorale, c’est d’abord parce que nous constatons que nos projets rentrent parfaitement dans deux des trois volets du plan de relance de 100 milliards d’euros, que vous rappelez d’ailleurs dans votre rapport :
« Transition écologique : développement de l’usage du vélo […] rénovation énergétique des bâtiments publics / Cohésion sociale et territoriale ». Il s’agit donc de conforter l’assurance de trouver des financements, mais aussi de coller à la situation dramatique que vivent les Belfortain.e.s en visant de façon prioritaire à améliorer le plus rapidement possible leur pouvoir de vivre.

Nous partageons avec vous l’objectif prioritaire de faire la transition écologique et c’est pour cela qu’il faut des objectifs précis, ambitieux, qui construisent une vraie politique d’ensemble. Les propositions que je vais faire sont le reflet d’une écologie positive, une écologie de l’emploi, de la justice sociale. Elles n’ont rien d’une écologie punitive. L’écologie punitive, c’est bien plutôt celle qui n’agit pas suffisamment, ou qui agit à la marge, c’est celle qui fait croire qu’on agit alors qu’on ne se saisit pas des vrais problèmes, c’est celle qui se contente de supprimer quelques impressions papiers ou de mettre des Leds dans l’éclairage public. L’écologie punitive c’est celle qui, comme l’a montré Le Monde dans un article du 2 février, conduira la France à un climat extrême à la fin du siècle, avec des températures supérieures de 4° en moyenne à ce que nous connaissons maintenant, avec des conséquences dramatiques qu’il n’est pas nécessaire de lister ici.

Il nous faut choisir des actions qui soient efficaces dès demain. Toute votre stratégie est construite pour améliorer à terme l’attractivité de notre Ville dans l’avenir. Ce sera nécessaire quand nous serons sortis de la crise mais pour l’instant c’est aux Belfortain.e.s qu’il faut penser et tout particulièrement à celles et ceux qui ont de faibles ressources et qui doivent faire des économies maintenant, pas dans cinq ans. Donc nous proposons d’agir de façon prioritaire dans les domaines qui touchent aux dépenses quotidiennes de nos concitoyens. Mobilité, logements, nourriture, biens partagés, atelier de réparation, tarification sociale et progressive de l’eau, soutien à l’économie sociale et solidaire.

Pour beaucoup d’entre elles nos propositions sont à cheval sur les compétences de l’agglomération, du département et de la région. Nous sommes convaincus en effet que l’ensemble des collectivités doivent tout faire pour mieux travailler ensemble et qu’en proposant d’agir au plus près du terrain, nous pourrons les convaincre d’apporter aux côtés de l’Etat les financements dont nous avons besoin. La ville doit et peut impulser des politiques ambitieuses. Je vais prendre 4 exemples pour être concrète dans les propositions.


D’abord le vélo. Il a connu un développement extraordinaire ces derniers mois, y compris avec les vélos à assistance électrique qui permettent d’élargir les publics et d’allonger les distances. Il répond à un besoin évident de sécurisation des déplacements. Il est bon pour la santé. En même temps le déplacement vélo est le moins coûteux des déplacements pour les gens comme pour les collectivités en investissement comme en fonctionnement. Il nous faut donc en lien avec l’agglomération, le département et la région un plan vélo ambitieux. Vous semblez vouloir développer cet axe, ce que nous allons pouvoir vérifier bientôt, mais nous pensons qu’il ne peut avoir un impact positif qu’en étant étroitement articulé avec un ensemble d’autres dispositifs. Pourquoi ne pas reprendre les propositions de Véloxygène, association locale qui fait un travail remarquable et a déjà réfléchi à des projets ambitieux ?


Ensuite l’auto partage. Voyons la réalité sociale en face. La crise est violente :  chômage, temps partiel, pression sur les salaires. Permettre aux ménages belfortains de faire l’économie de la propriété individuelle de la voiture tout en leur permettant, pour leur déplacement non quotidien, d’avoir à leur disposition une voiture en libre-service à proximité de chez eux, c’est concilier écologie et justice sociale. De plus, 9 voitures en moins en stationnement sur la voirie pour chaque voiture en auto-partage, c’est nous donner la possibilité de réaliser les aménagements de pistes cyclables, d’agrandissements des espaces piétons devant les commerces, de végétalisation de la ville à moindre coût.

Mobilité et logement représentent plus du tiers des budgets des ménages. En ce qui concerne la rénovation thermique, élément indispensable, la partie de financement de l’investissement relève plus de la compétence de l’agglomération, mais pour faciliter le montage des dossiers des Belfortain.e.s, notre ville pourrait tout à fait aider l’agglomération à financer le guichet unique qui informerait et conseillerait les particuliers. Nous pouvons agir sur l’aide à l’investissement des petits propriétaires, à la maîtrise d’œuvre, aux côtés des politiques publiques.

Par ailleurs, il nous semble urgent de lancer, en particulier dans le quartier Jean Jaurès que nous avions tous identifié lors de la campagne comme un quartier prioritaire, les aménagements urbains qui dynamiseront les projets de rénovation thermique et d’amélioration globale de l’habitat. Cela passera par l’aménagement d’ilots urbain, de jardins en cœur d’ilot, avec des investissements sur le logement mais aussi ce qui est extérieur au logement. Aussi, par exemple, par le développement des actions comme celles de Semaville, en acquérant des cellules commerciales vides et en proposant des dispositifs pour permettre l’installation de nouveaux commerces, et bien d’autres choses encore.

Réduire la dépense de chauffage, rendre les logements plus confortables et mieux adaptés aux besoins c’est en même temps bon pour l’emploi dans l’artisanat et dans les commerces de proximité, bon pour la planète et le porte-monnaie des Belfortain.e.s.


Enfin, favoriser les réparations, le recyclage des objets, le remploi, pour réduire la quantité de  déchets avec dans l’ensemble des quartiers, des ressourceries, des lieux de partage de biens comme de savoirs, c’est aussi coller à la réalité de la vie des gens, comprendre leurs difficultés, lutter contre leur isolement et développer des solidarités de proximité dont nous avons tant besoin.

Comme vous le voyez nos propositions sont concrètes. Elles sont à hauteur d’être humain. Pour nous l’écologie c’est le pouvoir de vivre. C’est la réduction des dépenses pour les gens, c’est l’emploi, la santé, la qualité de vie. C’est une écologie de proposition, d’émancipation, de développement humain, de progrès dans la protection de la population, de la planète. C’est un projet de société ambitieux. Et qui ne se retrouve pas dans ce PPI.

Nous espérons que vous saurez ouvrir le dialogue et sortir des logiques d’affrontements stériles que nous refusons. Il en va de l’avenir de notre ville et des Belfortaines et Belfortains.